La première fois

La première, elle entra dans la chambre, le tirant par la main. Elle jeta un regard agacé sur ces rideaux mal jointifs qui laissaient passer le jour.

Elle n’était pas venue là pour lui offrir le spectacle de son désir, de son plaisir. Et surtout pas pour lui offrir le plaisir de jouir de son corps à elle, ni à son cerveau le fat triomphe de sa jouissance à elle. Elle ne pouvait se le cacher : elle venait bien pour jouir de lui, mais son regard ! ce regard narquois ! Non, elle ne pouvait le faire payer, puisqu’il ne lui avait rien demandé. Ni bien sûr le payer, elle : il ne savait que trop bien l’empilement des oppressions qui pesaient sur elle et qui le laisseraient toujours en dette vis-à-vis d’elle. Quoi qu’il lui offre, quoi qu’elle lui offre, quoi qu’il en dise ou feigne de croire, la plus intime union ne les ferait pas égaux. (Seule peut-être la lecture alternée d’un poème… mais une autre fois. Ou après). Elle était Belge et lui Français, inconnue et lui connu, précaire et lui notable, et même leurs antécédents familiaux de minorités immigrées n’étaient pas égaux, du point de vue de la littérature mondiale dominante : orthodoxe grecque contre juif polonais. Et surtout, depuis des millénaires de patriarcat, elle était femme et lui était homme.
Tina Noiret

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