la Robe

(…) car tout doit revenir, comme il est écrit aux voûtes de Saint-Marc, et comme le proclament, buvant aux urnes de marbre et de jaspe des chapiteaux byzantins, les oiseaux qui signifient à la fois la mort et la résurrection.
Marcel Proust, La Prisonnière.


Rouge et or, elle apparaît enfin dans sa robe de princesse. Une mantille noire, en dentelles, sur ses épaules magnifiques, déploie ses ailes (L). Elle porte sa petite couronne de madone du 12ème siècle.
Cette robe, il avait dû la lui offrir, outre-mer, par email, pour se garder ses faveurs courroucées.
Elle était à l’étranger, espérant ne plus revenir, lorsqu’il lui annonça la mort brusque de son père en France :

«Vendredi, par email, j’ai appris la mort de mon père. Je suis allé voir ma mère depuis l’aéroport.»
Et de conclure, amer : « Si tu veux faire rire Dieu, parle-lui de tes projets. »
Son père, d'origine juive et déporté pendant la guerre, venait, après des années d'acharnement et de mémoire, d'intenter un procès à l'état français et à la société de transport qui avait non seulement permis mais rendu possibles ces déportations ...

Elle n’avait pas la possibilité de l’appeler de son appartement, et se répandit alors en futilités. S’il lui offrait la robe disait-elle, elle reviendrait peut-être :

« … j’ai découvert dans une boutique – derrière un centimètre de carreau qui suffit bien à la convoitise – une sublime robe de princesse médiévale. Hors de propos, intention, nécessité, utilité et budget, je l’ai essayée – avec sa longue cape de velours noir, des bijoux tout aussi extravagants, des escarpins, et cela me confère l’air métamorphosé d’une Cendrillon redécouverte. Mes rides et même mes tempes grisonnantes s’estompent sous les reflets miraculeux du tissu d’apparat et un visage très ancien, enterré, de "fée de clarté " apparaît enfin dans le miroir, son sourire d’il y a 20 ans clignote sous mon visage à moi, mystère inabordable énigmatique et doux.
>
>Ce mirage incite à acheter la robe. La question aussitôt : qu’en ferais-je ? Nulle occasion en perspective, pas de bal masqué ni de mariage prévus … »

Il saisit aussitôt l’occasion offerte des retrouvailles :

« … vous savez bien que je vous passe tous vos fantasmes !
Achetez la robe (je vous la rembourserai), fouettez-moi, faites-en une pièce de musée perso.
Mais un jour laissez moi en délier le bustier. »

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