Lecture au Triskell

Quand la poésie s'invite au Triskell
Au coin de ma rue Berkendael, la drève aux bouleaux centenaires qui croise la grande artère Brugmann, il y a un petit bout de Bretagne qui s’est échoué six mois l'an a Bruxelles : **Le Triskell**, une crêperie où l’on goûte du cidre de la bas. Ce soir-là, les murs sentaient comme d'habitude la galette de sarrasin chaude quand j’y suis entrée, un livre (Chants perdus) sous le bras, le trac dans les poches.
Un poète breton, de passage dans la capitale, rencontré quelques jours plus tôt chez des amis, y ferait halte pour lire mes poèmes. Gorgée de tant de poème tu — la nostalgie du large — j’avais promis une lecture. La, au coin de ma rue, où j'habite depuis longtemps, ou j'ai pris racine, là où s'abritent mes reves et grandit mon enfant.
Le public s’est installé doucement, comme une marée qui monte sans prévenir.
Puis **le poète est arrivé**, l’œil clair, la voix un peu salée… et le verre déjà trop plein.
Un breton joyeux, beaucoup trop joyeux. On aurait dit qu’il avait embarqué l’humeur du Finistère dans une bouteille, et qu’il l’avait sabrée avant même de nous saluer.
La première j'ai commencé à lire, espérant que mes mots prendraient leur envol comme des goélands dans la salle.
Mais derrière moi, la poésie… tanguait.
Le poète chuchotait ses vers, les miens, entre deux verres de cidre.
Un rire un peu trop bruyant, déplace, presque vulgaire, et me voilà rouge comme un soleil couchant sur la pointe du Raz. J’avais envie d’être ailleurs — sur un menhir, au fond d’un dolmen, n’importe où.
Les gens, heureusement, souriaient. Avec cette bienveillance pour la fête qu’ont les Bretons.
J'ai refermé mon livre comme on replie une voile après une bourrasque. J'ai souri moi aussi. J'aurais aimé me trouver ailleurs.
Le poète titubait, je le voyais sombrer. La poésie ne se commande pas… surtout quand elle a partagé trois bolées de trop.
En sortant, j’ai levé les yeux vers l’enseigne du Triskell.
La Bretagne, même à Bruxelles, conserve son charme : elle surprend, elle bouscule, elle fait rougir — mais elle donne toujours matière à raconter.
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