L'espace littéraire et numérique comme autre lieu de résistance et de résilience à l'emprise

SYNOPSIS 

L'œuvre de fiction par sa souveraineté est un espace de résistance au pouvoir, d'intimité et de désœuvrement qui interroge et déconstruit les notions d’emprise et de travail. Elle se dégage du pouvoir de l'organisation et ouvre à d'autres formes de connaissance et d'action. Afin d'agir dans l'espace social commun, deux stratégies de résistance s'offrent à l'auteur : la fiction et le « pharmacon » d'un espace numérique qui a transformé nos pratiques culturelles. Son art à l'œuvre dans le monde est une proposition de transformation. Cette approche de résistance se doit d'intégrer aussi la question du genre. 
The work of fiction is unique in its resistance to power, intimacy and idleness. It questions and deconstructs the notions of control and work.  It stems from the power of organization and strives to become other forms of understanding and action.  In order to be able to act in a common social space, the author can choose between two strategies of resistance :  fiction and the "pharmacon" that is digital space, which has transformed our cultural practices.  The art of fiction in the world is a way of recommending transformation.

Date de diffusion : 19 juillet 2019, UMONS


L'espace littéraire1numérique
comme autre lieu de résistance et de résilience à l'emprise



Il ne suffit pas de savoir, il faut savoir faire (Goethe)


EN PRISE A L'EMPRISE

Sur le plan psycho-psychiatrique, l'emprise se caractérise par l'anéantissement de l'autre comme autre2. Mais souvent cet autre appartient à une « minorité » : classe sociale et genre sont des variables sociologiques de l'emprise3. L'autre jugé inférieur, s'il ne se soumet pas, est anéanti. S'il se soumet, il est tout de même anéanti symboliquement. Face à cette double contrainte, il doit développer des stratégies de survie ou disparaître. Ce qu'il vit n'a pas de mots car les mots sont impuissants à dire l'emprise. À un stade ultérieur, le disparu n'a plus droit à la parole. À partir de cette douleur commence la recherche de vérité, la seule recherche qui soit.

Si l'emprise vise à soumettre et isoler les individus, les formes contemporaines de l'emprise au travail dépassent largement la seule organisation néo-libérale. L'emprise est omniprésente, multidisciplinaire, multifactorielle et globale. Aussi implacable que la loi de la gravité, elle est récidivante et systémique. Si elle semble insaisissable, c'est qu'elle est partout. Hydre multicéphale, tel le phénix, elle renaît de ses cendres, incendiant tout sur son passage. C'est pourquoi elle mobilise plusieurs disciplines, notamment la psychologie, la sociologie, les sciences du travail, la critique littéraire, la psychanalyse, la gestion de projet et les ressources humaines. Il serait illusoire d'aborder la violence du système de domination et les manières d'y résister de manière univoque et parcellaire. Certaines caractéristiques avérées de la société et des organisations, dont les institutions, y mènent forcément. L'exclusion et la perte de talents et de compétences, la dépossession et la disqualification des savoirs, en découlent comme un sang sacrificiel qui n'a pas fini de crier dans la Cité.

Si tout le monde peut être victime d'emprise, il existe une typologie de la victime privilégiée comme l'a montré une étude d'ETUC4 sur le harcèlement présentée à la commission « FEMMES » du Parlement européen, dans le cadre de la refonte de la directive européenne sur le harcèlement en 2007. Il s'agit de préférence d'une femme, plutôt jeune, d'origine immigrée et brillante.

 La recherche fondamentale est financée par le pouvoir et n'a pas toujours accès aux données empiriques brutes. Dans une entreprise d'économie sociale qui fait monopole, les chercheurs se voient imposer le corpus par le commanditaire. À cela s'ajoute le facteur idéologique et le pouvoir symbolique que leur accorde l'organisation puissante. Les sciences humaines sont donc elles-mêmes instrumentalisées au service du pouvoir dominant comme l'ont été au 19ème siècle les courants « hygiénistes » et la médicalisation qui reportaient sur la mauvaise éducation des ouvriers leur mauvaise santé plutôt que de reconnaître les dégâts sociaux, ou plus près de nous le printemps silencieux de Rachel Carson, premier ouvrage sur le scandale des pesticides ou encore Les brouillards mortels d'Alex Zimmer. C'est pourquoi il faudrait peut-être multiplier d'autres formes d'analyse, telles les recherches-actions, l'expérimentation, convoquer l'Art, ouvrir un passage au vécu, à la vérité et interroger la place de l'auteur dans les sciences sociales, et plus largement, dans l'espace social et politique commun.

POUVOIR VERSUS PARTAGE DES CONNAISSANCES

À l’occasion d'une étude de faisabilité pour la mise en place d'une politique active en matière de gestion et d'échange des connaissances au sein du Parlement européen, la question du pouvoir a émergé. Pouvoir et partage des connaissances sont contradictoires, ce qui ouvrirait un champ inexploré et terrifiant de la connaissance qui nous ramène aux questions embarrassantes posées par Hannah Arendt au début de « Vérité et Politique ». Elle y affirme que vérité et politique sont en assez mauvais termes. « Est-il de l'essence même de la vérité d'être impuissante et de l'essence même du pouvoir d'être trompeur ? Finalement la vérité impuissante n'est-elle pas aussi méprisable que le pouvoir insoucieux de la vérité ? »5

Comment résister à l'emprise multidimensionnelle et multiforme ? Quelles stratégies développer ? Pourquoi les mêmes rapports de pouvoir réapparaissent-ils partout, tels un schème préhistorique ancré dans le cerveau reptilien, et là encore où l'on s'y attend le moins ? Même là où l'intention affichée est de sortir de ces ornières en vue d'une « justice », d'une « solidarité », d'une « économie sociale », ou pire, écologie, féminisme ? L'amour lui-même n'est-il pas une superstructure de la domination d'un sexe sur l'autre ? Pourquoi l'emprise ? Pourquoi revient-elle sans cesse, et partout, révulse et fascine ? Surtout comment apprendre à s'en dégager ?

Se déplacer sur d'autres territoires socio-mentaux, changer de point de vue permet de mettre à plat une vision, et à partir de là rendre compte d'un changement de perspective pour retrouver le fil.

Deux espaces, l'espace littéraire et numérique, permettent de se réapproprier le partage des connaissances s'offrant dans toute leur gratuité de biens communs. Créer, c'est résister ; résister, c'est créer. L'innovation disruptive « est la seule façon de convertir le changement en opportunité »6.

L'espace littéraire est une zone de non-pouvoir qui relève de l'être et du non-être. Qui n'a pas d'armes pour combattre lutte à voix nue. La littérature comme la sociologie est un sport de combat. La sociologie pragmatique (Luc Boltanski, Laurent Thevenot…) liée à la philosophie politique et à l´économie des conventions, ainsi que d´autres études liées aux subalterns studies, comme celles de John Beverley7, confèrent au témoignage littéraire un statut relatif dans les sciences sociales.

Annie Ernaux parle d'un « cheminement parallèle » qui « partage avec la science la volonté cognitive, la volonté de percevoir le monde mais par des moyens littéraires ». Là où la sociologie part de notions abstraites et d’un vocabulaire spécifique, l'écrivain utilise « une certaine forme ». « Ce qui me vient, dit-elle, ce sont des scènes, des sensations, pour lesquelles je vais déployer des mots qui décrivent, des mots qui font voir, qui sont souvent des mots très matériels, qui renvoient à des scènes vécues, des choses vues, des phrases entendues ».

Issue d'un milieu modeste, l'écrivaine a toujours clamé une grande admiration pour Pierre Bourdieu. L'éminent sociologue a pour sa part attendu la fin de son parcours pour aborder l'origine sociale de sa pensée. Ainsi ce qu'il savait l'a-t-il sans doute su dès le début de sa vie sans le dire, et après l'avoir observé partout ailleurs y revient-il par une sorte d'intégrité intellectuelle qui n'a pas été sans dommages. Son dernier cours Science de la science et réflexivité aboutira à un livre posthume « Esquisse pour une auto-analyse » où il dit ne retenir de sa vie que «les traits qui sont pertinents du point de vue de la sociologie, c’est-à-dire nécessaires à l’explication et à la compréhension sociologiques». Il ne s'agit pas d'une autobiographie, cela relève de la nécessité épistémologique d'associer les pratiques à la « position d'origine ».

Fiction et recherche scientifique 

Articuler fiction et recherche constitue en soi une démarche de dégagement face à l'emprise omniprésente, y compris au sein des sciences sociales. L'analyse et le vécu réel ou fantasmé entrent dans un rapport dialectique réciproque qui réconcilie le concept et la « vraie » vie. Ce que l'art apporte à la recherche : une approche multidimensionnelle et polysémique ; une libération qui permet, dans la littérature comme dans l'inconscient, de se dégager des contraintes spatio-temporelles ; le jeu entre symbolique et réel. Toute œuvre est une métaphore. En ce sens l'art peut servir à exprimer des concepts abstraits, un peu comme les paraboles. La métaphore permet d'illustrer l'incompris, le non-dit, de trouver de nouvelles lois et des explications universelles Ce que la recherche apporte à l'art : - un cadre conceptuel ; - du capital symbolique8. Dans le règne animal, en éthologie, l'on observe que la création est une question de survie. Après un trauma social, « on ne peut que se laisser mourir ou se débattre pour affronter la nouvelle réalité ». La résilience et la résistance par l'œuvre littéraire et grâce aux technologies de l'information et de la communication sont des « stratégies» ou des formes pour affronter l´emprise.

ECRITURE ET RESILIENCE

Le psychiatre Boris Cyrulnik a ramené du Canada le concept de « résilience » dont il a finement expliqué le rapport à la mise en récit. Ainsi, il démontre le pouvoir des mots dans la reconstruction de soi. « Tout récit est un plaidoyer, une légitime défense.... une entreprise de libération ». Il parle carrément de « retour à la vie après une agonie psychique »9. En permettant de remanier la représentation d'un passé traumatique, l'écriture devient un facteur de résilience. L'on redevient ainsi maître de son monde parce que le mot écrit est l'invention d'une nouvelle réalité, une « chimère authentique ». La parole écrite qui donne une sensation de matérialité permet d'évoluer, d'accéder à l'autonomie quitte à trahir le réel. C'est une chimère où « tout est vrai, et pourtant l'animal n'existe pas ! »10 Cette vérité mythique permet au traumatisé de s'en sortir, de reprendre un autre type de développement. La résilience dépend de trois paramètres : la structure du trauma, l'histoire pré-traumatique et le développement du sujet qui selon son vécu réagira différemment au même événement ainsi que l'organisation du soutien, dont la capacité d'écoute de l'environnement. Dans son dernier livre il s'accroche justement au parcours d'écrivains dont comme par hasard beaucoup sont des orphelins. Il y présente la littérature comme un retour à la vie. Il montre comment « un mot écrit modifie l'imaginaire », comment ces orphelins littéraires ont trouvé un refuge dans l'écriture et comment la littérature a été à des degrés divers un processus de réparation dans ces vies fracassées. Cyrulnik souligne le caractère énigmatique du langage littéraire qui laisse place à l'interprétation. C'est un autre étage du langage que le langage commun des « mots de la tribu »11 : les mots ne désignent pas les choses mais leur représentation. Comme disait Mallarmé, « O ! Fleur ! l'absente de tout bouquet ».12 signifiant par là que le mot « fleur » n'est pas la chose elle-même mais désigne son absence. Selon lui, toute vision du monde est une opinion autobiographique. On comprend que Boris Cyrulnik est avant tout un écrivain. S'il n'était pas passé par la psychiatrie, l'ethnologie et les neurosciences, il aurait certainement écrit d'autres livres. Son travail est exemplaire d'une articulation entre recherche, neurosciences et écriture. Lui-même se fait l'ambassadeur parfait de ces « nouvelles alliances »13 entre recherche et écriture, où la fiction voire l'autofiction s'invitent sur le devant de la scène ou cène14. Cyrulnik le dit clairement. Le trauma n'est pas une maladie, la résilience n'est donc pas une thérapie, et en tant que tels ils ne mènent pas à une « guérison ». Quand un fracas chasse un humain de sa condition, quand parler est indécent et se taire impossible, l'écriture accorde une terre d'asile, un soulagement. Il ne s'agit pas de réveiller un passé et sa douleur mais de le « remanier pour en faire une action politique, philosophique ou artistique. »15

LA FICTION COMME RESISTANCE 

Pour l'écrivain Maurice Blanchot, cette terre d'asile n'a été autre que l'espace littéraire. « Comme si la survie était nécessaire à la vie ». Il a passé sa vie à s'interroger sur ce qui entre en jeu dans le fait que « quelque chose comme l'art ou la littérature existe », l’oeuvre comme origine, sa solitude essentielle, l’artiste et l’inspiration. Le jeu du signifiant sur vie/survie, la formule lapidaire donnent à penser « comme si » la phrase ne signifiait rien ou beaucoup plus. Aussi ne nous étonnons-nous pas de retrouver le lien entre le procédé stylistique favori de l'écriture blanchotienne, l'oxymore, et la résilience dont Cyrulnik nous dit qu'elle témoigne « d'une personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d'espérer quand même ». Cette figure d'opposition qui consiste à réunir deux termes de sens contraires à l'intérieur d'un même syntagme « est emblématique de la résilience »16 Catherine Millot voit dan l'oxymore « la figuration des rapports de cette autre scène, dont Freud désignait le lien de l’inconscient, avec la scène ordinaire de la vie diurne 17». Cet espace créé par la figure serait donc bien le lieu de l’entre-deux-morts, ce chevauchement de la vie sur la mort, où s’origine la résilience, rejetant le lecteur dans sa « perplexité réflexive à la croisée des contraires18». Ces termes contradictoires, ces paradoxes surgissent chez Blanchot comme des éblouissements ou l'éclatement de l'être qui dit tout et son contraire en un seul trait. Lorsqu' absence et présence, oubli et mémoire, jour et nuit se confondent, « la vraie patience n'exclut pas l'impatience »19, le vide est plein et parler, c'est encore se taire. La fiction littéraire est un succédané, une manière rapide de tout dire sans rien dire. C'est que « pour écrire un seul vers, il faut avoir épuisé la vie. ». Dans cet entre-deux de la mort où pointe le paradoxe d'une résilience s'ouvre l'autre lieu d'un "espace littéraire métaphorique d'un « pouvoir s’ériger en un métalangage capable de parler de toute autre chose que de l’espace »20. Un univers confiné et intime où « le monde “se dissout” » se déploye entre l’auteur, le lecteur et l’oeuvre. L’artiste […] ne se sent pas libre du monde, mais privé du monde, non pas maître de soi, mais absent de soi, et exposé à une exigence qui, le rejetant hors de la vie et de toute vie, l’ouvre à ce moment où il ne peut rien faire et où il n’est plus lui-même ». Dans le sillage du spatial turn (1990), l’espace est impliqué dans toute construction du savoir21 induisant les chercheurs à interprèter la spatialité comme ils l'ont fait pour l'historicité et la sociabilité de la vie humaine22. L’espace littéraire n'est pas un simple décor, une mise en scène descriptive en arrière-plan ou encore une mode. Il s’impose dans son vide même dirait Blanchot soi-même comme une substance génératrice, une matérialité irréductible, et un vecteur signifiant, moteur et médium de critique sociale, rapport entre l’intime et le collectif, le je réel et sa représentation, son autofiction, son éclatement, l'espace transgresse les frontières et délie. La fiction blanchotienne s'ouvre à un « il » impersonnel, le neutre, « l'interminable l'incessant » de toute parole, de toute pensée, de toute médiation. Dans Un merveilleux malheur , oxymore qui fait le titre de l'un de ses propres livres, Cyrulnik écrit « On peut toujours parler de soi, à condition de ne jamais dire je ».Construction identitaire et construction littéraire se conjuguent ici pour se libérer des diverses puissances d’assujettissement qui pèsent sur eux qui sont nous. Annie Ernaux précise que le sujet narrateur qui est aussi l'un des personnages de la fiction s'articule non pas comme un «Je» singulier, mais un « Je » social «doté d’un grand pouvoir absorbant des projections biographique des lecteurs, «vers une indistinction, une fusion, de l’intime et du social, avec l’utilisation d’un “je” qui est presque plus “transpersonnel” que personnel. Un “je” plus proche du “nous” ou du “on” mais entièrement habité par la réalité vécue », le “Je” social cédera à la troisième personne ou à une énonciation collective. Cette perspective est très proche de la sociologie, mais alors que cette dernière utilise des notions abstraites et un vocabulaire spécifique, le milieu dominé/ le monde dominant n'apparaissent pas en tant que tels dans l'autofiction d'Annie Ernaux ni de la fiction en général qui montre et dé/montre comme un théorème du réel.

ECRITURE ET INCONSCIENT 

La structure inconsciente du texte dit plus loin, plus ou autre chose. C'est par leur matériau de base (en rapport avec l'étymologie du mot résilience « se reconstituer après un choc » résister à un choc matériau»), la langue, que littérature et psychologie se touchent. « L'inconscient est structuré comme un langage », « la vérité a une structure de fiction »23. Les case studies de Freud (Dora, L'homme aux loups..) se lisent comme des romans tandis que Lacan a fait la part belle aux récits, décortiquant notamment la lettre volée de Poe dans sa démonstration du signifiant24. Jung a fait ses découvertes, et notamment l'inconscient collectif, en partant des mythes ancestraux fondateurs de l'humanité. Françoise Thiry, auteure du livre-témoignage sur la problématique des enfants métis issus des génocides"Une petite valise brune " et actrice sociale (coordinatrice chezLire et Ecrire) nous déclare que "la principale source qui soumet l'auteur c'est son inconscient" "Car je reste persuadée que l’on ne sait pas ce qu’on écrit quand on l’écrit ! L’inconscient, les songes, ces territoires si peu connus qui narguent la notion même de « choix volontariste » ou même de « liberté » : « Je me pense libre alors que je suis pensée » comme – tout compte fait – les « organisations » qui nous pensent et sont elles-mêmes soumises à des ordres insoupçonnés (le Désir de toute puissance par exemple)! Disons que la différence entre les organisations et l’inconscient est que je n’ai ni salaire, ni employeurs, ni contrat avec ce dernier !!! L’inconscient règne en dictateur sans possibilité de négociation, ni recours à la justice." "Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit" déclare Duras au début de La Douleur. "Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis." "Le mot écrit ne conviendrait pas". "Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment..." Dans cette résistance du texte à La Chose (l'objet petit a du désir en psychanalyse), Blanchot nous donne un indice dans la question qui nous préoccupe ou comment se dégager de l'emprise omniprésente et récidivante. La question de la souveraineté qui est au centre de son texte a été étudiée par Peter Murvai dans sa thèse de doctorat «  Allégories de la souveraineté. Politique et littérature à partir de l'oeuvre de Blanchot ». Dans ce travail savant, Peter Murvai a montré comment les œuvres de Maurice Blanchot 25« s’inscrivent dans un projet métapolitique dont le fil rouge est la problématique de la souveraineté ». Oeuvre charnière entre la médiation juridique du pouvoir, axée sur la figure du souverain et la doctrine de l'Etat esthétique fondée sur la relation entre la production de l'art et la constitution du peuple. L’exemple de Blanchot permet d’envisager un renouvellement des conditions de représentation et de dépasser « l’horizon juridico-politique de la souveraineté ». Cet espace autre ouvert par la fiction est un espace de résistance qui se joue dans cette possibilité de dégagement pour reprendre possession face au réel aliénant de ce qui permet de devenir auteur non seulement d'une oeuvre de fiction mais aussi de sa propre vie, et du coup devenir acteur social, afin d'oeuvrer dans le monde. On peut dire que la résistance est elle-même une organisation qui est centrée sur le silence et la parole qui tuent ou sauvent. De tous temps, la fiction a occupé cet espace que nous qualifierons après de nombreux auteurs de souveraineté. Sous le couvert de La Loi, du non-pouvoir, Kafka nous confronte aux mêmes questions éthiques lorsqu'il prend dans la fameuse lettre au père le parti des vaincus, les employés du père dont il devient le porte-parole. Dans Le Procès ou La Métamorphose, La Loi écrase, pouvoir aliénant, pouvoir de l'aliénation. Si les œuvres n'ont pas brûlé, c'est grâce à la complicité de son exécuteur testamentaire Max Brod. Sans doute la résistance du texte kafkaïen se passe-t-elle de résilience qui est aussi l'adaptation souhaitée par la psychologie. La question demeure : pour qui Kafka écrit-il ? L'un des mérites de la thèse de Peter Murvai est de resituer cette question de la souveraineté dans l'historicité des études nombreuses en sciences sociales en faisant un objet d'étude et de questionnement sociologique.. Agamben, Foucault, Bataille, Marcuse, etc... ont abordé la souveraineté, et son corrolaire, le dés-oeuvrement, vrai « travail »s'opposant à l'emploi (Stiegler) sous divers angles. Le texte irréductible oppose une résistance à toute emprise qui cherche à réduire ses possibilités, son impossibilité, à créer des schémas collectifs tout tracés, à générer des systèmes contrôlables. En vampirisant et quadrillant l’espace extérieur avec des canevas, des injonctions, elles arrivent à dicter plus ou moins nos pensées quotidiennes se développant au cours de notre vie pratique. Mais on leur échappe à chaque fois que nous stimulons notre imagination à la faveur d’une œuvre de fiction. On entre alors dans une infinité de possibles où les standards vont exploser. Et ce, même si les œuvres de fiction en question ont été soigneusement formatées, tout simplement parce que chaque personne qui entre dans une fiction la fait sienne par la façon dont elle se projette dedans, par la façon dont elle imagine ce qui se lit et se délie entre les lignes. La fiction relie les êtres et aussi les délie. Elle permet de remettre en question. Depuis longtemps des penseurs, de Moore et de son utopie, réponse à L'Eloge de la Folie (un jeu entre les deux auteurs) aux 3 distopies Le meilleur des mondes ; 1984 ; Samiatine « Nous autres » en passant par l'humour de certains contes philosophiques (Voltaire) ont fait de l'oeuvre littéraire et artistique un espace de souveraineté. On déplace, on habille, on distrait, et l’air de rien au final on questionne ou on révèle en douceur des vérités éludées qui guident vers un chemin de plus de conscience, de plus de liberté, et de moins de docilité. Ainsi donc la littérature résiste à tous les cadres, ouvre les perspectives partout où elle s'invite, résiliente, résistante, insistante,.... pour ramener le tiers exclu dans son giron. Transforme la vision, résiste à soi-même, appelle «la recherche d’un discours vrai» (René Char). «la grandeur de l’Art véritable» (Proust). Il y a une vérité de l’écriture elle-même, qu’il faut chercher dans la dialectique entre un véritable voyage dans l’inconscient et une utilisation directe de ses trouvailles sur sa vie réelle. Si la résistance est un acte de « souveraineté sans sacrifie et sans espérance »26 comme nous l'apprend le professeur Henriquez, le littérateur est bien ce résistant et ce critique qui échappe à la logique sacrificielle. Peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-même. (Proust). Car au final, la résistance du texte résiste aussi à l'emprise sociale qui fonde ses normes sur une psychologisation réductrice et enfermante, en assumant son irréductible souveraineté et son étrangeté. LES TICs COMME OUTILS Le philosophe français Bernard Stiegler conçoit les TICs comme un « pharmacon », un poison qui est simultanément son propre remède. Les pionniers du web avaient rêvé d'un internet émancipateur pour « sauver le monde »27. Le réseau est à l'origine notamment des mouvements altermondialistes, du peer-to-peer28, des logiciels libres, de la contre-culture, et, dans une certaine mesure, par l'accès à l'information économique, de l'émancipation Nord/Sud (malgré la manipulation des sociétés du Nord). Il est aussi le laboratoire de nouvelles licences basées sur des pratiques de réciprocité et d'innovation. À l'origine, internet est un grand rêve d' »intelligence collective » où des « Anges ne cessent de tracer les cartes de notre nouvel univers. »29. L' »âge de l'accès »30 implique participation et droit à la culture. Au fil du temps une désaffection de plus en plus grande dans l'opinion publique frappe le réseau. Cette désaffection a été promulguée top-down, par le politique. Lobbyé par les intermédiaires avides des ressources générées par le net, le politique a taxé les plateformes, pénalisé et pointé du doigt les dérives de Big Brother en termes de critique, d'uniformisation, de danger et de contrôle. Les intermédiaires ont détourné la valeur et l'innovation. Mieux encore, en matière culturelle plus particulièrement, ils ont sponsorisé des « fiefs », dans une tentative de re-territorialisation du virtuel . Le prétexte de la critique a relegué ces outils dans la case « néo-libéralisme », créant un clivage insoutenable pour les créateurs entre culture et cultures libres mais dont l'objectif véritable est de protéger leur propre marché dominant. Dès lors, il est important de souligner ou de rappeler que les tics non seulement constituent une résistance aux dominations à échelle individuelle mais que pour le plus grand nombre c'est le seul dispositif permettant d'exercer les droits culturels dans une démocratie. Les technologies permettent le dégagement par rapport au champ de la littérature dominante. Elles fournissent à l'auteur les moyens de production de sa propre création et de créer sa propre communauté, son club de fans. Malheureusement ce potentiel a été récupéré par les maisons d'édition via le sponsoring de communautés de lecteurs (exemple : Babelio). Michel Bauwens.31 CONCLUSION La confrontation à une emprise plurielle au cœur du pouvoir m'a permis d'explorer de possibles ripostes. Ce n'est que le début d'un questionnement multiple. Car si la littérature permet la résilience, elle est elle-même soumise à d'autres emprises qui sont autant d'enjeux du monde désenchanté d'aujourd'hui qui doit faire face à l’angoisse des guerres, aux inégalités et aux menaces pesant sur la Planète. Parmi celles-ci :


A SUIVRE...

Comments

Popular posts from this blog

Brothers in arms

Wilfried Martens, mort ...

Un peu transformée