Elégie à Graciela

 


 

Une mouette cendrée a pris son envol

Ses pennes blanches et noires tournoient en plein soleil

*

Graciela

pleine de grâces

*

Valse vermeille

L’oiseau Peng déploie ses ailes

dans la dentelle des nuages

Il rejoindra les rivages

des mers du Sud

*

Graciela

pleine de grâces

*

Ton passé de brise légère

s’envole à lhorizon

tel un essaim de papillons

sur la robe de nuages dansants

Ta voix morte tombe en flocons

sur la gelée des souvenirs

tel un cristal brisé

« Plantes des pieds ancrées au sol

Paumes tournées vers l’éternel

Otez vos souliers

Prenez l’énergie

C’est une boule de lumière »

*

Graciela

pleine de grâces

*

Ton âme diaphane

valse en écoutant le chant du coq

pousse les montagnes pour remplir la mer

prend les astres et déplace les planètes

Le vent balaie les derniers nuages

où le phénix pose son nid

*

Graciela pleine de grâces

L’amour ne meurt jamais

*

Il nous reste des images
des souvenirs des regrets

Vaine vanité du Néant

/d’un corps tu n’as que faire/

Quel supplice

de parler de toi

désormais sans toi

sans ton regard d’opales navrées

Ta tresse blanche qui a tant neigé

Sans tes mains fanées

Sans ta bonté

Qui a tant donné

Sans  ta voix

rauque du désir

de vivre

Nous voudrions te retenir

une dernière fois te sourire

Le ciel a disparu

et tu n’existes plus

La souffrance qui a rongé ton corps

ta douleur à la hanche

le crabe qui t’a emportée

n’ont eu aucune pitié

de ton squelette d’oiselle

Tu es partie sans tes amis

dans les larmes et l’oubli

« ma belle amphore mon vase ailé »

*

Alors nous t’offrons ces mots

toujours retardataires

ce chant universel

cette attente cet appel

qui recoud à travers ciels

les ailes du silence

une couronne en temps de corona

*

Ce n’est  plus à toi que je pense

mais à ton absence

*

Par un poème

Nous te saluons

*

Notre amour te hèle pour danser sur ses flots

Dans quel arbre, sous quelle terre

Sous quel or

Trésor d’alors

Ou dans l’air

Où te retrouver ?

Traverseras-tu la mer

Pour voler ce dernier baiser ?

Gracias a la vida

*

La douleur de la mort n'a pas de sarcophage

Les vers chantés mangent ton corps et ton regard

Vivre ne vaut pas la liberté de danser

Rien ne reste de tout ce qui fut gracié

 

*

Graciela

pleine de grâces

Je te salue



Promesse et transmission poétique des morts aux vivants

Pendant ses cours de Qi Qong Graciela nous parlait beaucoup d’énergie vitale, dénergie cosmique, de ce Qi que nous autres occidentaux ne parvenons pas à comprendre tout à fait.

Par une étrange coïncidence lors du dernier cours auquel j’ai assisté à l’espace Chambéry où elle prodiguait son enseignement, nous nous étions attardées, assises sur nos chaises, à parler poésie.

Son père qui était un scientifique (vulcanologue) et professeur à l’ulb avait un alter ego, Marc Algène, sous le pseudonyme duquel il écrivit un recueil unique : Poèmes Amers.

Il y avait plusieurs textes dont elle était l’objet. Et les yeux de Graciela, dont  la couleur opale était réhaussée par les tagua jaune et turquoise qu’elle portait aux oreilles ce jour-là, pétillaient en invoquant l’un des poèmes. Elle avait le recueil dans son sac et je lui proposai de le lire en cet instant dans cette salle vide. C’était comme un souffle d’ailleurs qui se posait sur nous en plein hiver et j’écoutais ma voix épousant le poème sorti de son silence après quelques décennies d’oubli et des poussières.

Les métaphores m’évoquèrent immédiatement un décor de pierres et je lui dis qu’un  jour je lirais ce texte pour elle… sur youtube peut-être, où je lisais en ligne les textes des poètes disparus. Ou peut-être lors d’une rencontre poétique avec tous nos amis, comme nous le faisions souvent autrefois chez Patricia et Vincent. J’imaginais une rencontre particulière, avec des minéraux en provenance du monde entier… peut-être avait-elle gardé quelques découvertes inédites de son père ? des roches, du cristal, de la lave, des …rubis ?

Je ne devais jamais revoir Graciela. Jamais plus. Du monde elle avait disparu,  lorsque Michel, son compagnon, eut cette idée de commémoration dans ce petit paradis dans la ville qu’est la ferme du Champ du Chaudron. Je lui racontai l’aventure et y vis l’occasion rêvée de respecter la promesse faite à Graciela par une lecture publique. Encore devrait-il fouiller dans ses affaires et retrouver ce texte dont je me souvenais à peine.

Il le retrouva et mieux encore m’offrit un exemplaire numéroté du livre.

Arrivée en retard à l’arrêt de tram convenu, le groupe ne m’a pas attendue et j’ai longtemps erré dans la campagne avant de rencontrer Raymonde qui me guida, juste à temps, au lieu du rendez-vous.

J’expliquai ce qu’il en était à cette inconnue familière et elle comprit bien des choses réputées invisibles. Elle m’expliqua les liens entre le Qi Qong et la poésie car elle-même donnait cours de Qi Qong. Ainsi est né un nouveau poème me reliant au recueil sorti de l’oubli un demi-siècle auparavant et relançant un nouveau cycle de création poétique d’oubli et de mémoire entre les vivants et les morts.

C’est un peu de cette énergie transgénérationnelle qui est passée à travers les mots que j’ai lus ce jour-là, et qui sont le regard d’un père pour sa fille.

Dans « Elle et moi »  vous la reverrez telle que vous l’avez connue. C’est exactement Elle "ma belle amphore" "mon vase ailé" "mon navire solitaire" "ma jonque mystérieuse" "mon coffret de pierreries" "ma châsse merveilleuse" "ma claire sonatine" "mon sonnet sans reproche"


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