Jours futiles
Une étrange fatalité me fait renouer chaque matin avec les tâches domestiques, des urgences qui n'en sont pas. Aspirer, poncer. récurrer. Des obligations imposées. Mais par qui ? Colmater les fissures. éponger les inondations, récurrer. Restaurer les lieux.
Le temps avance. Nous reculons.
Le monde est sourd, imperméable. Un réel glacial transperce l'hiver sans illusion.
Dans ce cercle infernal il faut se débrouiller seule, se débattre contre l'absurdité généralisée. L’implacable absence gagne du terrain. Les amis de jeunesse disparaissent les uns après les autres, soit morts soit mourant.
Ma litterature.
Il y a des jours où je me réveille déjà épuisée, comme si la simple perspective d’exister m’avait consumée pendant la nuit. Des jours où le piège fonctionne parfaitement : je deviens la proie docile de toutes ces tâches frivoles, happée par le néant, les détails dérisoires d’un quotidien qui ne demande qu’à me dévorer.La matinée se consume dans ces fausses obligations qui ont la prétention de se déguiser en urgences. Je colmate des brèches imaginaires, je me débats dans des rituels sans âme, persuadée qu’il faut absolument « mettre de l’ordre » avant d’avoir le droit d’entrer dans mon propre temps, le temps autre de l'écriture qui m'ouvre à la nuit prolixe. Le jour grignote ma nuit littéraire.
Messages en retard, rappels automatiques, formulaires absurdes, photos à trier, mails à lire, mails à envoyer, d'autres à zapper, preuves à envoyer à des systèmes qui m'ignorent. Et cette armée de petites corvées domestiques, destinées à être exterminées les unes après les autres, sans impatience mais sans conviction. Quand enfin j’émerge de ce marécage de futilités, il est midi. Et rien, absolument rien n’a commencé. Rien. Parce que la plupart des activités sociales sont faites d’habitudes héritées d’on-ne-sait-plus-qui, perpétuées par la seule inertie de la machine sociale, l'absurdité de la Bêtise qui gagne du terrain. Une machine folle, bruyante, qui tourne sur elle-même et exige de nous la même agitation inutile. Alors il faut sortir du jeu. Maintenant. Tout de suite. Attribuer à toutes ces cérémonies — réunions pseudo-nécessaires, contraintes administratives, échanges de politesse déguisés en moments conviviaux — la valeur exacte qu’elles méritent : zéro. Vite, refermer les tiroirs. Vite, retrouver mon pays intérieur. Vite, reprendre ce temps personnel que j’ai laissé filer comme une idiote. Pendant ces heures perdues à remplir du vide, le monde est resté silencieux. Un décor figé où l’implacable et l’absence se superposent. À part les amis de jeunesse qui resurgissent parfois après des décennies, à part quelques followers en quête d’une étincelle de compassion dans la nuit numérique… il n’y a que des algorithmes pour me rappeler que je suis encore connectée. Qu’ils jouent, ces robots. Qu’ils s’amusent avec leurs ombres et leurs statistiques. Je n’ai plus envie de danser avec eux.
La qui m'habite, faire de mots et de clairvoyance continue à ruisseler.
La littérature ne s'arrête pas.
Comments